« La santé au travail, c’est un droit » - Entretien avec Fadi Joseph Lahiani

6 Juin 2025
À l’occasion de la Semaine pour la qualité de vie et des conditions de travail, Fadi Joseph Lahiani, psychologue du travail et des organisations, partage son regard sur le thème « Parler du travail, c’est productif ». Il revient sur les enjeux d’une parole libre et outillée dans les métiers du soin et de l'accompagnement.

Regard de Fadi Joseph Lahiani sur le sujet du mieux vivre au travail

jpdPsychologue du travail et des organisations, Fadi Joseph Lahiani a fondé en 2007 AD Conseil, une structure engagée dans l’amélioration des conditions de travail. Elle articule aujourd’hui intervention de terrain, dialogue avec la recherche et accompagnement des organisations. 

Fadi Joseph Lahiani exprime que cette posture hybride entre praticien et facilitateur du dialogue recherche-terrain est une force. « Faire le lien entre les apports scientifiques et les réalités vécues permet d'éviter les angles morts » explique-t-il. Et d'ajouter : « On ne peut pas parler de QVCT sans connaître les contraintes techniques du terrain. » 

Le thème « Parler du travail, c’est productif » prend tout son sens dans les secteurs où la parole est trop souvent verrouillée. Fadi Joseph Lahiani le rappelle : dans les métiers du soin, la souffrance est prégnante, les indicateurs de santé sont alarmants, et certaines dimensions du travail restent taboues. 

Pour lui, mettre en discussion le travail, c’est déjà ouvrir la possibilité d’agir. C’est aussi un positionnement éthique : la santé au travail est un droit, pas seulement un levier de performance. Il regrette que les actions de QVCT soient trop souvent justifiées par ce qu’elles pourraient rapporter en productivité. « En liant systématiquement bien-être et efficience, on dévoie le sens même de ces actions. Justifier la santé par la performance, c’est oublier qu’elle est avant tout un droit fondamental. » 

Dans le secteur privé de la santé, le surengagement est la norme. Fadi Joseph Lahiani observe que vouloir prendre soin des autres s’accompagne d’une tendance à nier ses propres limites. Dans les métiers du soin, notamment les postes opérationnels, la majorité des professionnels sont des femmes. Cette répartition genrée n’est pas anodine, nous explique-t-il : elle expose davantage les femmes à certains risques professionnels, comme les troubles musculo-squelettiques, et à des situations de précarité, en particulier dans les contextes de monoparentalité. À cela s’ajoutent des contraintes spécifiques : horaires atypiques, rythmes antisociaux (travail les week-ends et jours fériés), sans parler de l’exposition fréquente à la détresse, aux incivilités ou à la violence. C’est un environnement professionnel à la fois très exigeant et peu valorisé matériellement.

Pourtant, insiste-t-il, ce sont aussi des métiers porteurs de sens : dans les études menées par AD Conseil, auprès d'employeurs de la branche, une large majorité des professionnels interrogés expriment leur satisfaction quant à la finalité de leur travail. Mais cet attachement profond à la mission s’accompagne d’indicateurs de santé extrêmement dégradés, et d’un réflexe de banalisation de la souffrance. « On s’écoute moins, on relativise, et l’on finit par se convaincre que tout cela fait partie du métier. » 

Pour Fadi Joseph Lahiani, c’est précisément ce cocktail entre engagement fort et conditions difficiles qui en fait un terrain d’usure particulièrement préoccupant. 

Ouvrir des espaces pour parler du travail, c’est créer les conditions d’une action collective et responsable.

Pour Joseph Lahiani, lorsque la parole circule, elle permet de rompre avec l’isolement, de dépasser les fatalités et de remettre en question ce qui ne devrait jamais être considéré comme normal. Pour qu’elle soit réellement utile, cette parole doit s’inscrire dans un cadre de confiance, bénéficier d’un vrai travail d’outillage, et surtout pouvoir produire des effets concrets. Il insiste sur l'importance de donner à chacun les moyens de nommer ce qu’il vit, notamment dans les métiers les plus exposés, souvent les moins préparés à mettre des mots sur leurs réalités professionnelles. Et il le rappelle : pour que le dialogue ne soit pas vain, il doit s’accompagner de marges de manœuvre, de possibilités d’ajustement, et d’une volonté partagée d’agir.

Certaines organisations montrent l’exemple en adoptant des démarches intégrées, abandonnant ainsi les actions isolées. Elles mettent en place des mécanismes durables et s’appuient sur des réseaux internes de compétences dédiées, tels que des animateurs QVCT, des pilotes et des experts internes.

Par exemple, l’ARSEAA, une association qui gère de nombreux établissements sanitaires et médico-sociaux en Occitanie, a choisi d’instaurer un schéma d’amélioration continue de la QVCT. Elle a également formé un réseau interne composé de binômes d’animateurs QVCT (cadres et représentants du personnel), qui animent chaque année des groupes de travail participatifs. Ces groupes permettent aux salariés d’exprimer leurs besoins et de proposer des améliorations. Ce modèle, exigeant, permet des transformations durables, car il fait le pari de l’intelligence collective et repose sur une logique ascendante (du terrain vers la décision) qui tranche avec la verticalité et le côté hors sol de certaines démarches QVCT. 

La QVCT comme levier d’attractivité  

Pour que la QVCT soit un levier d’attractivité, elle doit aller au-delà du confort périphérique. « Ce n’est pas un baby-foot ou un chèque vacances qui retiendra les jeunes professionnels » estime Fadi Joseph Lahiani. Eux attendent du sens, un équilibre de vie, une reconnaissance structurelle. Il plaide pour un changement de paradigme : repenser le contrat psychologique entre employeur et salarié, pour y remettre de la confiance et de la réciprocité. Il affirme que « les jeunes ne sont pas moins engagés : ils ont simplement décidé de ne plus tout sacrifier ». 

Des initiatives managériales innovantes montrent qu’il est possible de faire autrement. Fadi Joseph Lahiani évoque notamment un modèle néerlandais Buurtzorg dans le secteur de l’aide à domicile : « l'organisation fonctionne sans hiérarchie, les soignants s’organisent eux-mêmes, planifient leur activité, gèrent la continuité des soins. Un fonctionnement radicalement différent, qui repose sur la confiance et la responsabilisation » et qui a démontré son efficacité à grande échelle en améliorant la satisfaction des salarié.es, la bientraitance, tout en réduisant le coût des soins. Pour lui, cela prouve que même sans grande révolution « on peut sortir des dogmes et des habitudes ». 

Des politiques QVCT qui doivent s’ancrer dans la durée

Fadi Joseph Lahiani insiste : une politique QVCT ne peut être un « one shot ». Elle doit devenir un système vivant, connecté aux autres politiques de l’organisation (handicap, égalité, climat social...). « Aujourd’hui, on multiplie les petites actions, mais sans vision d’ensemble. » : le premier enjeu est donc de remettre de la stratégie et de la cohérence. 

Fadi Joseph Lahiani conclut : « Tout part de là : parler, rompre les non-dits, refuser les fatalités. Et retrouver collectivement la capacité à penser le travail autrement. » 

Et si vous preniez soin de celles et ceux qui prennent soin ?

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