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L’IA générative transforme déjà notre rapport au travail. Pour mieux en cerner les enjeux dans le champ des ressources humaines, l’OPCO Santé a réuni des experts et des employeurs du secteur privé de la santé, du social et du médico-social lors d’une conférence riche en perspectives concrètes et en retour d’expérience.
Géraud Tarride : « Nous sommes tous devenus des ingénieurs augmentés »
Directeur de l’innovation de l’agence Wat, Géraud Tarride a ouvert la conférence en posant les bases d’une compréhension claire et accessible de l’IA générative. Contrairement à une idée reçue, l’IA n’est pas nouvelle : c’est une discipline née dans les années 1940. Mais ce qui change radicalement aujourd’hui, explique-t-il, c’est sa démocratisation.
La vraie révolution, c’est l’interface : pour la première fois, n’importe qui peut dialoguer avec une machine, en langage naturel, sans être développeur. Nous sommes tous devenus, en quelque sorte, des « ingénieurs augmentés ». Chacun peut désormais interagir avec des outils puissants, sans avoir besoin de compétences techniques. Résultat : une adoption fulgurante. En 2024, deux salariés sur trois utilisent déjà l’IA générative. Et chez les étudiants, ce chiffre atteint 99 %.
Dans les RH, les impacts sont multiples : automatisation d’une partie du process de recrutement, rédaction assistée, synthèse de réunions, gestion de contenus pédagogiques… L’IA est partout. Mais, prévient-il, elle ne remplace pas l’humain : elle libère du temps, réduit la charge mentale et recentre les professionnels sur la relation et le discernement.
Quels impacts sur les RH ?
Selon lui, l’IA touche toutes les strates de la fonction RH :
- Le recrutement : sourcing automatisé, tri de CV, rédaction d’annonces, tests de personnalité assistés…
- La formation : conception de modules individualisés, avatars pédagogiques, parcours immersifs…
- La communication interne : production de contenus, newsletters, présentations…
- La gestion administrative : synthèses de réunion, rédaction de comptes-rendus, suivi RH automatisé…
Rester maître du cadre
Face à cette accélération, trois priorités s’imposent pour les structures :
- Accompagner la montée en compétences des équipes à l’aide de formations spécialisées.
- Encadrer les usages avec des chartes internes, des règles éthiques et des formations.
- Clarifier le cadre juridique de son utilisation (RGPD, loi européenne sur l’IA, etc.).
Il conclut par cette phrase : « On ne sera pas remplacés par l’IA, mais par ceux qui sauront s’en servir. »
Trois adhérents de l’OPCO Santé témoignent : entre expérimentation et vigilance
Yaël Schalita – DRH – Fondation Léopold Bellan
Yaël Chalita revient sur la manière dont l’intelligence artificielle s’est récemment imposée dans les réflexions internes. Longtemps absente des priorités de l’organisation, l’IA a commencé à susciter un intérêt croissant depuis environ un an, en grande partie sous l’impulsion des jeunes générations y compris des enfants des collaborateurs qui ont éveillé les consciences sur le sujet.
La direction a rapidement constaté que certains salariés utilisaient déjà ces outils, de manière informelle et sans cadre défini. Face à ce constat, la fondation a choisi d’adopter une démarche à la fois prudente et proactive. Des formations courtes et sur la base du volontariat ont été mises en place, notamment à destination de l’équipe de direction. L’objectif : apprendre à tirer parti de ces outils, savoir poser les bonnes questions, en comprendre les usages comme les limites.
Un principe clair est désormais partagé en interne : l’IA est un assistant, non un décisionnaire. Elle peut se révéler utile pour la rédaction, la synthèse de documents ou encore le soutien administratif, mais ne saurait remplacer le discernement humain, en particulier sur les sujets juridiques où elle peut produire des contenus erronés, voire fictifs.
Enfin, la Fondation Léopold Bellan accorde une attention particulière à la question de la confidentialité. Aucune donnée personnelle ne doit être introduite dans les outils d’IA. Pour garantir la sécurité, seules des versions hébergées sur les systèmes internes et sécurisés de l’organisation sont utilisées.
Marine Riotte – Directrice du pôle engagement et transformation RH – Groupe SOS
Avec ses 22 000 collaborateurs répartis dans plus de 650 structures, le Groupe SOS place l’innovation au cœur de son identité. Dès les prémices de l’essor de l’intelligence artificielle, le groupe a fait le choix de la transparence et de la pédagogie : il s’est attaché à démystifier l’IA et à encourager les équipes à s’en saisir librement, sans tabou.
La démarche adoptée est résolument participative. Un comité IA, ouvert à l’ensemble des collaborateurs volontaires, a été mis en place, afin qu’une bibliothèque d’outils soit testée. L’expérimentation est vivement encouragée, en particulier avec des solutions gratuites ou à faible coût. Chaque test fait l’objet d’un retour d’expérience documenté, mettant en lumière les bénéfices observés, les limites identifiées et les précautions à prendre.
Le Groupe SOS s’inscrit dans une logique ascendante, refusant toute approche imposée par le haut. Ce sont les collaborateurs eux-mêmes qui proposent les cas d’usage. La direction se positionne ensuite en soutien, assurant l’analyse des outils et leur conformité notamment sur le plan du RGPD. Lorsqu’un outil est jugé utile, éthique et sécurisé, il est officiellement labellisé comme « recommandé ».
À ce jour, des solutions comme Copilot (intégré à Microsoft 365) ou Ordalie (dans le domaine juridique) ont été validées. Ces déploiements s’accompagnent systématiquement d’un cadre d’utilisation clair et d’une volonté forte d’appropriation collective.
Salima Amraoui – Responsable nationale formation – APF France Handicap
Au sein d’APF France handicap, qui compte 15 000 salariés répartis dans 500 structures, l’intelligence artificielle s’est d’abord imposée de manière informelle. Comme dans de nombreuses organisations, la direction a rapidement constaté que certains collaborateurs utilisaient déjà ces outils, sans cadre ni accompagnement. L’enjeu a donc été posé clairement : comment encadrer, former et orienter ces usages pour qu’ils deviennent des leviers de performance plutôt que des sources de risque ?
La stratégie déployée a d’abord ciblé les managers, identifiés comme les relais naturels auprès des équipes. Des expérimentations ont été lancées dans deux régions pilotes l’Occitanie et l’Île-de-France sous la forme de cycles de formation de trois jours. La première journée vise à sensibiliser les participants aux grands enjeux, notamment ceux liés à la protection des données. Les deux journées suivantes, espacées d’un mois, s’appuient sur des cas concrets issus du quotidien des managers. Chacun vient avec ses problématiques, et explore collectivement comment l’IA peut y apporter des réponses.
En parallèle, dans le cadre de la transformation de l’organisation, APF France handicap a également formé ses responsables financiers. L’IA y est perçue comme un appui précieux pour les tâches répétitives ou complexes. Cette évolution permet de redonner du sens au travail, de gagner du temps et d’en améliorer la qualité.
Enfin, l’organisation a validé l’éligibilité prochaine de ces formations au CPF un levier stratégique pour accompagner la montée en compétences des équipes à grande échelle.
Rebecca Stéphanie Renverseau : « L’IA nous pousse à redéfinir la valeur de nos métiers »
Fondatrice du cabinet Tomorrow Theory, Rebecca Stéphanie Renverseau a offert une plongée dans le futur du travail augmenté. Selon elle, deux grandes figures émergent :
- Le collaborateur augmenté : un salarié doté d’outils d’IA intégrés dans ses tâches quotidiennes, qui lui permettent de gagner du temps, d’automatiser certaines actions, de produire plus vite et parfois avec plus de pertinence.
- L’agent IA autonome : un logiciel ou « agent conversationnel » capable d’exécuter de manière indépendante certaines missions simples ou répétitives, sans intervention humaine directe. Ces entités numériques, accessibles en ligne ou intégrées aux systèmes internes, seront capables de gérer des plannings, répondre à des demandes RH, faire le suivi de formation ou d’intégration, voire tenir des conversations fonctionnelles.
Ces agents, déjà présents dans d’autres secteurs, arrivent progressivement dans les métiers de la santé. Leur intégration pose des questions fondamentales : que veut-on déléguer ? Qui programme, qui contrôle ? Et surtout, comment préserver l’humain dans cette équation ?
Mais à chaque fois, rappelle-t-elle, l’intention compte autant que la technologie. Une IA bien pensée et bien introduite peut libérer du temps, apaiser des tensions, stimuler la créativité. Mal utilisée, elle peut isoler, déshumaniser ou standardiser à l’excès.
Elle conclue ainsi : « L’IA ne remplacera pas la relation humaine. Ce qu’elle transforme, c’est la manière dont on travaille ensemble. Elle nous pousse à aller à l’essentiel, à redéfinir la valeur de nos métiers. Les soft skills, l’écoute, la nuance, la présence resteront irremplaçables. »
Elle invite donc les organisations à prendre le temps de l’expérimentation, de la discussion collective et de la formation, pour que cette transition ne soit pas subie, mais choisie.
Pour Rémy Mazzocchi, il faut miser sur le collectif pour avancer
Rémy Mazzocchi a conclu en soulignant que cette rencontre était bien plus qu’un temps d’échange exploratoire. C’était un moment de convergence : les constats se recoupent, les besoins sont clairement exprimés, les initiatives locales méritent d’être élargies.
« Ce que je retiens, c’est une maturité croissante sur le sujet de l’IA. Le terrain est fertile, les expérimentations sont nombreuses. Mais pour passer à l’échelle, il faut du soutien : des moyens, bien sûr, mais aussi des repères communs. »
Il rappelle que l’OPCO Santé entre prochainement dans une nouvelle phase de négociation avec l’État, autour d’une convention d’objectifs et de moyens. Dans ce contexte, il est crucial que le secteur de la santé privée soit identifié comme stratégique sur le plan de l’innovation numérique et de la formation aux usages de l’IA.
L’appel est donc lancé :
- Aux adhérents : faites remonter vos besoins, vos retours d’expérience, vos priorités.
- À l’écosystème : travaillons ensemble à une feuille de route partagée, ancrée dans le réel, et ambitieuse dans ses perspectives.
« Ce n’est qu’en unissant nos forces que nous pourrons construire un cadre solide pour l’intégration de l’IA dans nos métiers, et défendre des investissements utiles, concrets, durables. »
- Le 01 décembre 2025 Lire l'article